Grazia, France Inter, Ouest-France, la ménagère de moins de 50 ans... Savages et le post-punk

Il y a deux sortes de gens : ceux qui écoutent de la musique dite alternative (cela concerne en général le rock et la techno, moins le rap) et ceux qui se contentent de ce que leur offre la bande FM, la télé, les meilleures ventes des supermarchés, les magazines people, le top Deezer, bref tout ce que l'on voit facilement. En effet, ce qui est alternatif est par définition difficilement visible, on ne le trouve en général qu'en le cherchant, ce n'est pas du tout-cuit offert sur un plateau.

Sans vouloir être élitiste (mais en fait, si, autant assumer), ce qui n'est pas alternatif est souvent très mauvais, car créé de toutes pièces pour faire vendre. C'est de la musique à consommer dans l'instant, puis à jeter. D'ailleurs, que reste t-il de ces innombrables tubes dont on nous abreuve comme des veaux depuis des décennies, quelques mois après ? Rien. On les a totalement oubliés, sauf les plus commerciaux (et donc les mieux faits), et ceux qui étaient réellement le fruit du talent. Car bien sûr de la qualité il y en a, mais il faudra la chercher du côté de Jain plutôt que de Louane, par exemple, de Pharell Williams plutôt que de Lady Gaga, ou de Little Bob plutôt que de Johnny.

Et dans le PAF (le chien), la part de la musique alternative reste très marginale, pour ne pas dire inexistante. Aussi, quand un groupe "underground" (notez les guillemets) apparaît soudain chez Michel Drucker, on se dit qu'il y a anguille sous roche (et le branchouille snobinard que je suis se sent trahi, car il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes, les Nadine Morano et les Pierre Rahbi - fichtre je me suis laissé emporter à faire une allusion politique, pardonnez-moi).

Pourquoi écouter du rock alternatif plutôt que de la variétoche, ma foi je n'ai pas la réponse. Sans doute parce qu'on ne trouve pas dans la variété ce que l'on cherche, à savoir des émotions fortes, peut-être parce qu'on a un tempérament plus rebelle ou plus artistique, peut-être parce qu'on est juste un ado mal dans sa peau qui cherche à se démarquer, peut-être parce qu'on s'en fout, va savoir. C'est peut-être aussi culturel, ainsi en Grande-Bretagne, la variété est beaucoup moins présente qu'en France, et dans notre pays où on a comme idole Johnny Hallyday c'est pire que partout ailleurs, va savoir pourquoi, va savoir.

Vous l'aurez deviné, perspicace ami lecteur (ou amie lecteuse), je m'estime faire partie de l'autre catégorie, celle qui est cachée, invisible, underground et qui fait peur à la ménagère de moins de 50 ans (souvent des tatoués, des drogués, des satanistes, des terroristes, brrrr).

Or donc, moi et mes zamis (qui se ressemble s'assemble), avons plongé avec bonheur, depuis notre adolescence (toujours pas terminée) dans ce que le rock contient de plus saignant, de plus sombre, de plus rigolo, de plus émouvant, de plus remuant, de plus intellectuel et de plus stupide. Dans les années 80, sous Reagan, Mitterrand, Thatcher, un nouveau genre musical fit son apparition : né sur les cendres du punk le mouvement gothique s'aventurait dans un rock théâtral, sombre et souvent morbide, parfois avec beaucoup de dérision, parfois sans la moindre once d'humour. Sous l'aspect classique guitare/basse/batterie/chant se rajoutaient parfois des synthés, mais qui restaient discrets. Le chant était en général très enfiévré, plein d'emphase, et côté ambiance la froideur et la morgue l'emportaient, même s'il pouvait y avoir, assez souvent même, une certaine vitalité, qui donnait envie de remuer (mais bon, n'est-ce pas ça, la base du rock). Le look mettait bien évidemment l'accent sur le noir, et on portait sans peur du ridicule des chemises à jabot, des pantalons en cuir, des chapeaux de cow-boy, des gants, de la dentelle, du maquillage noir pour les yeux, blanc pour les joues, rouge sang pour les lèvres (même et surtout chez les garçons), des cheveux hérissés teints en noir. Bref, tout ça était assez grandguignol, et hormis quelques abrutis, personne ne prenait vraiment ça au sérieux.

A la fin des années 80, le mouvement gothique était devenu passablement ennuyeux, virait à la musique hippie ou à la pop new-wave insipide. Puis il disparut, pas complètement certes, mais ce n'était plus son heure de gloire.
Et voilà t-y pas qu'après le 11 septembre 2001, alors qu'on était en pleine dance-musique, on commença à voir ré-émerger des groupes qui remettaient au goût du jour un certain rock basique, sombre, jusqu'à ce que, quelques années plus tard, de vrais groupes gothiques, avec tous les clichés et tralalas qui vont avec, refirent surface, modernisant un peu la musique, mais à peine, surtout en jouant un peu plus vite et en délaissant un peu les quolifichets et les artifices du look (Editors, Interpol, Rakes, I Love You But I've Chosen Darkness...)

En 2013, un petit groupe de filles (plutôt jolies), les Savages, ont sorti un album trrrrrès gothique, qui fit son petit effet, surtout grâce au bouche à oreille. Mais cela restait confidentiel, ou plutôt "alternatif", comme je me suis exténué à l'expliquer plus haut.
Depuis quelques jours, les Savages, groupe mineur, pas mauvais mais pas non plus géniallissime, a s sorti un nouvel album, beaucoup plus énervé que le précédent, mais toujours trrrrrrès ancré dans le rock gothique des origines, celui du milieu des années 80.

Et c'est là qu'est l'os, l'anomalie qui a poussé votre serviteur à se fendre d'une note de blog : d'un seul coup, le magazine féminin Grazia titre sur "Les Savages et leur post-punk habité sont de retour", France Inter évoque la sortie du nouvel album en évoquant les références à Siouxsie & The Banshees, Ouest France nous explique que "Les Savages aiment le noir mais adorent la vie".
C'est un peu comme une irruption de terroristes dans un concert, comme une fève dans un cassoulet, comme un ministre socialiste reprenant des thèses fascistes, on se demande bien ce qui fait que ce groupe mérite d'un seul coup de basculer dans le camp de ceux qui ne parlent jamais d'underground. A quand un passage chez Michel Drucker ?

L'explication de leur soudain succès est certainement liée au prix décroché lors du Mercury Prize, qui doivent avoir des super communiquants à leur service ayant su les vendre à des gens qui n'étaient pas censés les écouter, à moins qu'il ne s'agisse que d'un coup de bol (pourquoi les Savages et pas Eagles Of Death Metal avant le Bataclan, alors que ces derniers sont nettement plus abordables ?) qui a fait qu'un valeureux journaliste officiel a daigné écouter autre chose que ce que ses collègues des grosses maisons de disques lui envoient par la poste.

Le Mercury Prize n'est pas non plus un événement, c'est très secondaire dans le PAF alternatif, pour ne pas dire anecdotique. D'ailleurs, voici ce qu'en dit Wikipédia, c'est symptomatique, notamment au niveau des labels indépendants... :

Le Mercury Music Prize (prix de musique Mercure en français) est une récompense annuelle qui consacre le meilleur album britannique ou irlandais des douze derniers mois. Créé en 1992, elle se veut une alternative aux Brit Awards. Il est attribué par un panel très restreint de personnes issues de l'industrie musicale. On lui reproche souvent de céder à la mode. On lui reproche également d'oublier les labels indépendants.

Mais plutôt que de déplorer leur reconnaissance subite, réjouissons-nous, j'ai toujours pensé que le rock le plus extrême pouvait très bien être écouté par n'importe qui, tout cela n'étant qu'une question d'éducation culturelle et d'ouverture d'esprit. Alors, tant mieux si elles font connaître autre chose que la daube permanente que l'on entend à la radio !

Au fond, la question fondamentale est : est-ce que c'est bien ? Le vieux critique rock que je suis se permet de tenter d'y répondre : oui c'est bien, mais ce n'est pas super original. Un peu trop maniéré, un peu trop précieux, un peu trop snob sans doute (les poses des filles sur les photos, avec le regard noir - et oui la vie est dure, bouh), mais il reste un vrai bon feeling avec un peu de dépoussiérage et d'énergie d'un genre un peu sclérosé, bref de modernisme, qui n'est pas pour déplaire.

Ecoutez donc les deux albums de Savages, mais si ça vous plaît penchez-vous sur leurs influences et sur le monde merveilleux des mouvements gothique et post-punk des années 80, vous allez kiffer, c'est promis.

Du dernier album, "Adore life" :





Du précédent album, "Silence yourself" :




1 commentaire:

  1. mais surtout, voyez-les sur scène, elles y sont réellement impressionnantes, d'autant plus qu'elles n'en font pas trop, ne cédant pas aux sirènes du "on est le groupe cool du moment", elles nous balancent des vrais bon gros parpaings, et en plus elles ne ménagent pas leurs efforts, alors il faut en profiter tant qu'elles restent de cet esprit !

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